LA MORALE EST-ELLE AFFAIRE DE TRAVELLING?

 

 

 

Cet intitulé est une formule - que vous connaissez peut-être comme elle est fameuse chez les cinéphiles; je rappellerais tout à l'heure l'historique de cette phrase "la morale est affaire de travelling" et son corrélatif, sa réciproque: "le travelling est affaire de morale" qui est devenu un dogme dans le cinéma pour beaucoup de cinéaste - dans cet intitulé, y'a un gros mot, qui résonne spécialement ici, un grand mot, le mot "la morale".

 

Au cinéma, s'il y a suspicion d'immoralité, si la question de la morale est posée, - je parle du cinéma en général, dans un film en particulier, il y aura mille possibilité de le juger moralement - mais là, si on considère un peu l'acte cinématographique en lui-même, c'est à dire cet œil borgne visé sur le monde: on est dans un regard, la morale, concernera donc quoi? Le voyeurisme, car que peut-on reprocher moralement à un regard? Voilà, la violation de l'intime, aussi l'esthétisation de l'horreur; le sadisme, ce qu'on a beaucoup appelé pour le cinéma l'abjection, ou l'obscène. Parenthèse, je parle pas de l'obscène du porno, qui se présente s'affiche comme obscénité, et aurait certainement le mérite d'être clair. Ce serait une autre obscénité, je vous dis on l'appelle beaucoup "abjection" au cinéma, selon la tradition critique, et justement la question c'est savoir s'il peut y en avoir une – d'abjection - dans l'acte apparemment innocent de cadrer, non plus évidemment dans le fond mais déjà dans la forme même, si on peut être dans le champ de la morale.

 

L'autre mot c'est travelling, tout le monde sait ce qu'est un travelling, c'est un mouvement de caméra qui peut être avant, arrière, haut bas ou bas haut;

Je vais restreindre le travelling au travelling avant et même plus pratiquement au gros plan. Et encore plus peut-être au gros plan de visage.

Je m'en expliquerai d'avantage, mais quand même déjà, pourquoi je réduis, comme ça autant le champ de réflexion, parce que c'est là, dans le GP de visage il me semble en tous cas que se poserait la question morale si elle devait se poser. Et c'est ma question, doit-elle se poser? Pas nécessairement dans les seuls gros plans de visage, mais dans ce que les gros plans de visage induisent, et qui pourrait du coup les rendre à ce niveau vraiment exemplaires.

 

Si on parle de mise en scène, de mouvement de caméra, de plans, on est dans des questions de distance. Si on emprunte les idées des sciences sociales, de distances sociales, distance publique, sociale, personnelle, intime, le travelling avant donc, le zoom, c'est le passage de la distance - donc de la sphère – publique ou sociale, à la distance / sphère intime. Ce franchissement dans le travelling se fait sans montage, sans coupe, on "est conduits" jusqu'au gros plan.

Est ce que le travelling, le passage sans discontinuer à la sphère intime, ce franchissement, peut être une transgression, est-ce que le gros plan en lui-même est transgression, la transgression de quelque chose et de quoi, et si oui, cette infraction doit-elle être moralement interrogée?

 

je vais:

- résumer la problématique de la moralisation de la forme au cinéma

- exposer un peu le Gros Plan, pourquoi il semble que c'est lui peut-être particulièrement qui serait à interroger

- proposer une loi - d'avance discréditée, simplement presque pour avoir de quoi la démentir – une définition d'un plan immoral, encore une fois, je crois pas une seconde à une définition possible, là il faudrait bien me comprendre: je la proposerais simplement comme réflexion à désavouer: je pense que le cinéma comme art doit être intrinsèquement presque transgression, donc on ne peut lui imposer une loi si ce n’est pour qu'il la bafoue instantanément.

 

1-    le travelling est affaire de morale historique

1. L’interrogation sur la valeur des mouvements de caméra s’est vite attachée à une orientation morale.

On peut s'interroger sur la  légitimité de ce questionnement moral : peut-on dire d’un mouvement de caméra qu’il est correct ou non ? L’estimation technique apparaît plus aisée, ou en tout cas moins  discutable, que l’appréciation d’une prétendue validité morale. Pourtant la postérité de ce  type d’interrogations est grande dans le discours des critiques, de Rivette à Jean-Michel Frodon, en passant par Serge Daney.

 

KAPO film italien de Gillo PONTECORVO        1959                    

Dans les Cahiers du Cinéma Jacques Rivette écrit la critique de ce film qui deviendra fameuse, au titre lapidaire: «De l’Abjection».

Kapo est un film sur les camps d’extermination qui «fictionnalise» le sujet, contrairement au troublant Nuit et Brouillard d’Alain Resnais (1956). Ce qui lui est reproché, c'est de faire un mélo dans les camps.
Jacques Rivette attaque principalement l’œuvre de Pontecorvo de peur que «chacun s'habitue sournoisement à l'horreur, cela rentre peu à peu dans les mœurs, et fera bientôt partie du paysage mental de l'homme moderne ; qui pourra, la prochaine fois, s'étonner ou s'indigner de ce qui aura cessé en effet d'être choquant?».

La scène culminante de Kapo, c'est l’infâmant travelling. «Voyez […] dans Kapo, le plan où Riva se suicide, en se jetant sur les barbelés électrifiés : l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’à mon plus profond mépris». Rivette

Quelques années plus tôt, Luc Moullet avait préparé le terrain en écrivant que «la morale est affaire de travelling», axiome que Jean-Luc Godard, sous le coup de la vision du Nuit et Brouillard de Resnais, avait génialement inversé afin de le transformer en véritable dogme cinématographique - «les travellings sont affaire de morale».

 

Ce n'est pas sans surprise que l'on découvre la cinématographie (de fiction comme de documentaire) conditionnée à une approche morale. C'est à partir de la question de la représentation de l'ultime, celle des camps bien sûr que s'est posé vraiment la question d'une "moralisation de la forme".

Comment proposer une représentation "vraie" des "camps" ? Comment ne pas laisser le spectateur "s'habituer" à l'horreur ? Rivette semble douter à vrai dire de la possibilité même de "traiter" un tel sujet : pour lui, il y a presque immédiatement une transgression morale à tenter une représentation formelle quelle qu'elle soit de cette histoire-là - C'est ici qu'on saisit pleinement le rôle joué par « Nuit et Brouillard » en fournissant un contre-modèle et une référence marquante, ce film prévient l'étape finale de cette "moralisation de la forme" : l'interdit de représentation (ou plus exactement l'interdit d'"image") qui sera plus tard la position de principe de Claude Lanzmann (concernant la destruction des juifs)[1].

 

 

Mais qu'est-ce que vient vraiment faire la morale avec les mouvements de caméra?

La morale avec la focale?

Il faut admettre maintenant pour me suivre que la forme est pas distincte du fond. 

(Ici j'aurais pu appeler Daney, mais aussi les travaux sur la perception de Merleau Ponty, j'ai choisi Badiou que je viens de lire)

 

(A.      Badiou Petit 
Manuel d'inesthétique.
1.) "un film se présente à la pensée comme un tout indissociable, un ensemble
 d’opérations dans lesquelles il n’y a pas sens à distinguer entre scénario et
 mise en scène, pas plus qu’entre forme et contenu. Le rapport classique est
 inversé, puisque ce sont les opérations qui suscitent les idées, et non le 
contenu qui détermine une forme “adéquate” ;

(= On commencerait presque par la forme et elle conditionne, détermine le fond. Ça peut paraître étonnant, pas tant que ça selon certaines idées phénoménologique ou linguistiques; qui est premier de la pensée ou du langage? est une fréquente interrogation.)

 

Si la forme et le fond sont  - admettons le au moins avec Badiou- inséparables, et quant à moi, j'aimerais même tirer plus loin:si la forme même a un fond, ce que je crois, (la pensée et le mot se font l'un l'autre dit Merleau-Ponty) alors les mouvements de caméra peuvent de facto être ou non moraux.

Selon Bazin, ils ont une grande valeur morale. Ils ont une grande valeur morale car ils permettent et appellent  le plan-séquence. (Un plan séquence est un long plan non coupé, non monté). Bazin a écrit un article titré "montage interdit". Il y a carrément une grille Bazinienne de la valeur des mouvements de caméra, toujours selon une règle: celle de la non-ostentation.

Un mouvement de caméra offre l’alternance du point de vue sans  passer par le "cut" et le montage ("interdit" selon le titre de l’article de Bazin[2]). Le plan- séquence est donc très défendu par Bazin car le statut d’image trace une meilleure  proximité avec le réel, "l’objectivité de l’objectif" n’est pas mis à mal. (Le montage est  perçu comme une violence à l’image).

 

On voit donc que simplement parce que la forme est déjà engagée fondamentalement, les choix esthétiques formels du cadre, du regard du cinéaste donc toujours, sont responsables, et porteurs de la question éthique.

Mais j'avais dit que le principal accusé serait le Gros Plan, j'y viens. (Encore une fois, je veux qu'on comprenne que cette accusation est pratiquement déjà défense, même peut-être éloge dans la logique artistique.)

 

 

2-     Le Gros Plan

 

Le travelling avant est un mouvement directif et indexial.

C'est l'index pointé. Il pointe et isole un attribut du profilmique (cf. Glossaire) comme on dit, tout en éliminant d’autres éléments qu’il place dans le hors- champ contigu.

C'est l’aptitude immersive du travelling avant

Le zoom avant passe pour représenter la pulsion du désir (la caméra est souvent comparée à un œil voyeuriste).

Le travelling est alors une des figures dominantes dans la contribution à une perception somatique du film, ses effets s'adressant tout directement aux émotions.

 

Qu'est-ce que c'est que ça un gros plan?

Tout à l'heure j'ai dit: je vais surtout parler du gros plan et du gros plan de visage, pourquoi, parce que je crois que c'est la chose du cinéma.

On pourrait dire: le cinéma c'est le gros plan, et le gros plan, c'est le visage.

Bergman: "Notre travail commence avec le visage humain (…) La possibilité de s'approcher du visage humain est l'originalité première et la qualité distinctive du cinéma"

Ce gros plan de visage, il est appelé par Deleuze: l'image-affection.

"il n'y a pas de gros plan de visage le visage est en lui-même gros plan, le gros plan est par lui même visage et tout deux sont l'affect, l'image-affection" Deleuze, l'image mouvement

 

Il y avait eu ici un jeudi sur le visage: c'était Fabrice qui parlait de vulnérabilité (finitude, et il y a ce mot que j'aime bien dire: "le gros plan c'est la mort au travail" on pourrait dire la même chose du visage) la finitude, mais aussi l’idée de l’infini, d'une totalité qui se révèle dans le visage d’autrui, de l’autre personne, comme "ce qui me déborde". Je cite ce que disait Fabrice.

Il y aurait un privilège du visage ? Fabrice demandait: en quel sens le visage est-il le lieu de la révélation éthique ? 

Il avait dit aussi que c'était le visage, le lieu où se tient l'injonction de ne pas tuer.

 

Au cinéma, ce même visage, comme il était déjà éthique en lui-même, va l'être absolument.

 

Cadrer, normalement c'est exclure; le cadrage est limitation. C'est la création d'un hors champ. C'est comme un cache, on cadre et on cache le reste, reste qui n'en est pas moins présent, pas visible (pas forcément audible non plus si on canalise aussi le son) mais présent comme idée implicite, allusive du Tout qui inclus le cadre.

Le gros plan, au contraire, est magique: enfin il peut être magique. Il isole l'objet, et neutralise l'environnement. (Il y aurait plein de contre exemple évidemment, mais il peut très bien, il a le pouvoir de neutraliser le tout.)

C'est la déterritorialité.

Le gros plan de visage est émancipé de ses abscisses et ordonnées. Déterritorialisé parce que le gros plan a le pouvoir d'arracher l'image aux coordonnées spatio-temporelles et suspend donc toute action déterminée (puisqu’il n’y a plus d’espace ni de temps pour l’actualiser).

La surface ainsi isolée n’est plus qu’une plaque réfléchissante.

Il suspend les choses pour faire surgir l'affect pur en tant qu'exprimé.

C'est un peu ce qu'Epstein suggère quand il dit : "Ce visage d'un lâche en train de fuir, dès que nous le voyons en gros plan, nous voyons la lâcheté en personne, le "sentiment-chose", l'entité". [3]

Il est icône. On retrouve un vocabulaire sacré, je disais magique, en tant qu'il montre révèle (aussi déjà par le travail de la photogenèse (cf.glossaire), elle-même déjà révélation littéralement) une face ordinairement cachée.

 

Et voilà que le cinéma nous restitue, «deux cents fois grossi », en une sorte de miroir différé («ça a été»), cette impression familière (qui renvoie à nous-même), cette «inquiétante étrangeté» (qui renvoie à d’autres), dans une similitude immédiatement perceptible. Comme quelque chose :

«qui devait rester un secret, dans l’ombre et qui en est sorti »FREUD [4]

 

Le GP fait apparaître comme une nudité, "il fait du visage un fantôme et le livre aux fantômes" encore Deleuze.

Parce que le GP a poussé le visage jusqu'à ces régions ou le principe d'individuation cesse de régner, il est non seulement déterritorialisé, mais aussi désindividualisé, ça devient presque un visage universel, et je trouve étrange mais fascinant que c'est là, x fois grossi, que le visage devient (j'allais écrire "enfin") anonyme.

Et à ce point de dégradation, d'anéantissement, il reste la peur, une peur sourde dont parlent toujours à mon sens les vrais gros plans de visage.

 

Le gros plan, alors, c'est focaliser, polariser, borner absolument le monde à sa plus petite partie. Prendre la partie pour le tout, c'est la métonymie: le gros plan, c'est la métonymie du corps j'avais dit que je parlerais pas du porno mais quand même ici on y est:

La crise de la dimension apparaît comme la crise de l'entier, autrement dit d'un espace homogène au profit d'un espace accidentel, accidentel ou les parties, les fractions, deviennent essentielles.[5]

 

L'obscène implique effectivement le désir de voir, l'attraction tout autant que la répulsion.

L'obscénité se donne à voir dans un excès propre à l'écriture photographique, et ontologique du cinéma. Le gros plan, c'est la transposition visuelle possible du principe sadien du détail, qui montre le corps de manière inédite. Capter le détail, implique souvent la nécessité du gros plan, prendre la partie pour le tout puisque la parcelle de chair devient le corps entier. C'est donc dé-former, désharmoniser le corps, le réduire à une partie, si ce sont les parties viriles ou génitales féminines, c'est faire du corps entier une obscénité. Réduire le corps aux parties, on comprend que le gros plan est la figure de style favorite du ciné porno, qui aboli l'individu en réduisant le corps au sexe, à sa chair, à sa matière.

Encore une fois le porno affiche la couleur

La peinture de Courbet, L'Origine du monde, exactement comparable au plan de Bruno Dumont dans "l'humanité" (le plan rapproché (même angle de vue que le tableau) du sexe du cadavre d'une gamine violée), c'est la destruction de la proportion, un fragment qui vient briser un ensemble, mélange de fascination et d'effroi.

 

Ce que je voudrais montrer, c'est que la morale pourrait avoir à voir avec le GP parce qu'il y a un rapport entre l'obscène et le détail.

Le détail demeure essentiellement déraisonnable, il est ce qui ne s'assujettit pas, il est la marque de l'excès, ce par quoi le désir invente

"c'est là que ça se passe, écrit Hénaff à propos de Sade, là que la censure [...] se relâche [...], là que ça jouit [...] et que l'inconscient parle."[6]

 

En ça l'imagerie médicale (le monde de l'indifférenciation: on comprend rien, on est dans des conduits de chair rose mouillée, le Très Gros Plan est "le monde des plis": ou est l'homme, la femme, l'animal, l'humain etc, on ne sait plus. C'est une errance désorganisée de la vie à travers les plis de la chair.

Ce point de vue adoptée par la prise de vue endoscopique s’affirme comme symptomatique de la pulsion scopique et du fantasme de l’invisible rendu visible. C'est pour ça que j'en parfle un peu ici, l’invisible rendu visible, et bien ça rejoint Freud, ce qui devait resté caché et qui a été révélé; ce qui est sorti de l’ombre, l’invisible, c’est la mort, évidemment, et la ma phrase « le GP c’est la mort au travail » résonne encore.

 

Sur cette pulsion à soulever le voile, à regarder l’impossible, ou l’interdit, comme une hantise essentielle, il y a cette définition de l'obscène: l'obscène, c'est "la limite du non humain qui hante l'humain mais qui lui permet aussi de se définir comme tel"[7]

 

Cette exhibition de l'intime, plus que de l'intime, on l'a vu, de l'entité, du visage en tant qu'affect pur, l'obscène aurait quelque chose à voir avec le GP, parce qu'il est le franchissement vers un autre territoire, une quête vers une "tension vers l'impossible" (c'est une notion clef de Bataille). Cette monstration, interdite peut-être parce qu'elle transperce une frontière, celle de la représentation, du spectacle de l'affect pur, en quoi elle pourrait être immorale? Ce visage nous montre autre chose, à la frontière du connu et du visible, donc de la mort.

(Je pense aussi à une phrase d'André S. Labarthe[8] - "c'est la guillotine qui a inventé le gros plan")

 

 

Je voulais sur la question de l’obscène, et de ce que c’est que filmer l’ultime, et la mort, parler de Pier Paolo Pasolini, et de Salo ou les 120 journées de Sodome, Italie 1975 (viol, scatologie, torture, énucléation, jusqu'au meurtre, fin de parcours. Lui a choisi de dénoncer l'horreur par l'horreur.)

On était entre désir et dégoût, là c’est le dégoût qui l'emporte, ça va jusqu'à l’écœurement, jusque l’intolérable et je fais le rapprochement avec Bataille qui dans "l'Anus solaire"[9] écrit : "les yeux humains ne supportent ni le soleil, ni le coït, ni le cadavre, ni l'obscurité" Bataille

 

 

 

3-    On a vu que le travelling, et donc le GP qui en résulte franchissent la zone "connue" on va dire, pour s'approcher de l'image qu'on a pu dire "interdite"; peut-être taboue, peut-être sacrée.

 

A partir de quand le cadre devient immoral, peut devenir immoral ?

Ce serait débile et déjà contre-productif d’établir une règle, comme j’essayais de dire, selon l'idée que l’art est pour moi presque par essence remise en cause des règles, lui en coller une ne peut-être que la condamner instantanément, mais j'ai cette proposition donc de définition d’un plan immoral :

- Alors que l'on affiche, ou qu'on occupe, une place, un angle, un statut de discours ou de personnage public ou qu'on fait de l'information, c'est-à-dire quand on se tient à une distance sociale ou publique par rapport à son sujet, et bien cadrer selon une distance personnelle ou intime (donc le plan rapproché, le travelling avant, mais aussi peut-être tout le champ de l’image affection, le ralenti, les violons) pourrait être immoral.

Car c'est alors le passage d'une objectivité professée (bien que toujours relative, une image n'est jamais objective, neutre ni impartiale) à une subjectivité.

                                                                                 

Pour exemple:

SARKOZY libère un enfant otage –Neuilly: travelling avant sur l'enfant et le visage du ministre. De la sphère sociale du fait informatif: la libération du gosse, on passe à la sphère intime de la paternité salvatrice, du courage personnifié.

L'acte courageux de "l'image-action" selon la terminologie deleuzienne est devenu par le gros plan le courage affect pur, émancipé de son actualisation: l'image-action est devenue l'image -affection.

 

La moralisation du travelling avant, de la forme au cinéma a fait réfléchir des cinéastes qui ont pu dire: Jamais de gros plan, c'est le plus souvent un ressort du cinéma "commercial": "simplement parce que la souffrance n'est pas une star" (JLGodard[10])

Après avoir montré la problématique de la représentation de l’ultime, de l’horreur, même de l’interdiction de cette représentation, donc de la transgression de cet interdit dans la monstration de certaines images, puis la proximité entre le plan serré, le GP, et quelque chose de l’ordre de la révélation d’une face d’une zone normalement enfouie, cachée, je pose pour finir que la question morale de la forme au cinéma existe sans doute essentiellement à travers le désir voyeuriste, surtout parce qu'il y aura je crois toujours "ambiguïté entre le tragique et la beauté."

 

 

 

4-    conclusion : la morale est une affaire de morale

 

La morale est évidemment trop instable pour être un critère de jugement fiable.

Quant à la banalisation du politiquement correct, elle est une atteinte à la liberté des réalisateurs, la morale moralisatrice ne doit pas empêcher le cinéma.

Pasolini dit du cinéaste qu' "il se bat contre la morale pour un droit à voir".

Ça n'innocente pas les cadres et les choix de posture, de regard.


Il y a des attirances et des rejets, une communauté de points de vue, et des répulsions intransigeantes, qui ont à voir avec la morale, ou pour être moins solennel, simplement avec une vision de la dignité humaine.

On ne peut jamais faire l'impasse sur la signification d'ordre idéologique qu'implique tout choix esthétique, quant aux moyens employés pour la recherche de l'efficacité pour donner un exemple concret. "Filmer la mort,la violence ou le sang qui gicle au ralenti est une décision qui engage son auteur.[11]

Je termine avec Rivette de qui venait l'adage "la morale est affaire de travelling", il dit : "il est des choses qui doivent être abordées dans la crainte et le tremblement, la mort en est une, sans doute; et comment au moment de filmer une chose aussi mystérieuse, ne pas se sentir imposteur?"

 

 

 

Marianne PISTONE

Jeudi 17 février 2011

 

 

 

 

 

GLOSSAIRE

 

Obscène: qui blesse la délicatesse par des représentations ou des manifestations grossières de la sexualité, Robert –obscena: parties viriles, Gaffiot).

 

Plan-séquence: Au cinéma: une scène (unité de lieu et de temps) filmée en un seul plan qui est restitué tel quel dans le film, c'est-à-dire sans montage.

 

Profilmique:Tout ce qui s’est trouvé devant l’objectif lors de la prise de vue.

 

Photogenèse: Production de lumière, cinéma: procédé de révélation lors du développement de la pellicule.

 



[1] Claude Lanzmann, "Holocauste, la représentation impossible", Le Monde, 3 mars 1994, p. I et VII.

[2] Montage interdit / André Bazin. in : Cahiers du cinéma n° 65, décembre 1956

[3] Jean Epstein, Écrits sur le cinéma, 2 vol., Seghers, 1974-1975

[4] Freud: L’inquiétante étrangeté, Gallimard, 1985 (traduction française de das Unheimliche, texte de Freud de 1919)

[5] P.Virilio: L’espace critique, Christian Bourgois, 1984, p.28.

[6] Marcel Hénaff. Sade, l'invention du corps libertin (PUF) (1978)

[7] Jérôme Soules, "l'éclat des corps. Le nu au cinéma". La voix du regard n°15, automne 2002

[8] André S. Labarthe,
Une cinémathèque imaginaire - Propos recueillis par Bertrand Keraël, 16 juin 2004.

[9] BATAILLE, Georges. L'anus solaire. Paris: Editions de la Galerie Simon, 1931.

[10] Histoire(s) du cinéma Episode 2B Fatale Beauté 1997 Coll. Centre Georges Pompidou, Paris

[11] Le cinéma obscène Par Estelle Bayon

 

 

Accueil

Présentation ..Prochaine rencontre ..Ecrits .Vidéos Historique ..ALP ..Plan d'accés ..Animateurs ..Boîte à idées