DOIT-ON TOUJOURS S’EFFORCER DE REGLER SES PASSIONS ?

 
 
 
Quelques remarques pour commencer sur le sujet que je vous propose de discuter ce soir. Il concerne la pratique que nous devons nous efforcer d’avoir vis-à-vis de nos passions. Il peut donc paraître assez étrange, assez intemporel, surtout si on le compare aux questions qui ont été dernièrement débattues ici même, et qui portaient sur les problèmes de notre présent – malaise de la technique, déclin de la démocratie, périls du futur. Mais il est néanmoins légitime. Car si penser le présent, penser le réel, penser l’histoire, est une des tâches de la philosophie, ce n’est pas la seule. Il existe en effet une autre tâche, une autre vocation de la philosophie, qui est de rechercher la définition d’une vie juste et bonne pour l’individu, de répondre ou de tenter de répondre à la question : comment doit-on vivre. Cette question, d’ordre éthique, était on le sait « la » question essentielle pour Socrate, mais aussi pour les stoïciens, et pour Epicure. C’est elle qu’il va s’agir de discuter ce soir, mais sous l’angle particulier du problème du rapport à soi, de la pratique de soi. Nous allons nous demander en effet si, pour mener une vie juste et bonne, pour approcher de ce que les philosophes anciens nommaient « le souverain bien », il est indifférent de se laisser gouverner par ses passions, de leur dire oui sans réserve, ou s’il vaut mieux au contraire s’efforcer de les régler, de les tempérer, ou de les modérer (toutes expressions à mon sens synonymes), afin de se gouverner si possible par la raison ? Si possible, car évidemment, rien n’est plus difficile. Et si souhaitable ? Descartes, à la fin du traité qu’il leur a consacré, dit des passions qu’elles « sont toutes bonnes de leur nature ». Mais il ajoute aussitôt après : « nous n’avons rien à éviter que leurs mauvais usages, ou leurs excès ». Que faut-il en penser ?   
 
Pour débattre de ces questions, il va être nécessaire d’abord de tirer au clair le sens du mot passion, et je vous assure que ce n’est pas une tâche facile, tant cette notion a été diversement définie. Ensuite, en partant de cette analyse, il s’agira de voir pour quelles raisons, dans quel but, en vertu de quelle exigence, on devrait s’efforcer de les régler, de les tempérer, si tant est que cela soit possible, l’excès étant peut-être constitutif de l’essence de la passion, et l’idéal de « maîtrise » de soi étant peut-être profondément illusoire.
 
Cela fait vraiment beaucoup de problèmes. Je me contenterai donc de quelques remarques que je me suis faites sur la question, et susceptibles, je l’espère, de donner matière à débattre.
 
D’abord, il est indispensable, je vous l’ai dit, de déterminer ce que recouvre le mot passion. L’emploi de ce mot est assez large : soit il désigne  une inclination devenue prépondérante et même exclusive, à laquelle le sujet consacre l’essentiel de son temps et de son énergie, ainsi le Faust de Goethe passionné par le savoir, ou le joueur passionné par le jeu – c’est là l’emploi le plus courant du mot passion - soit il désigne un certain état de l’affectivité, une émotion, un bouleversement, ou une perturbation intime de la vie psychique qui entraine qu’on ne peut plus penser qu’à une seule chose, le sujet ou l’objet de la passion, surtout, il faut y insister, quand cet objet vient à manquer, à être absent, voire inaccessible. « C’est quand l’objet d’amour vient à manquer, quand l’amour ne peut plus appréhender ce dont il déclarait auparavant se nourrir, que se déclare un amour fou et passionnel », dit Clément Rosset. La passion n’est donc pas simplement une inclination, une tendance, elle est exagération de la tendance. Elle n’est pas non plus simplement une émotion transitoire. Elle est pour ainsi dire une émotion qui se perpétue en l’absence de son objet et se nourrit de son manque.
 
La notion de passion se révèle donc problématique. Elle semble signifier à la fois une « puissance » et une « impuissance ». On a des passions parce qu’on a la faculté d’aimer, de haïr, de désirer, de se mettre en colère, de s’indigner, d’être dans la ; joie ou dans la tristesse, d’admirer, et cette faculté est très clairement une puissance. Elle est même très clairement un bien. En effet, sans elle, nous ne pourrions pas mettre un prix aux choses, nous ne pourrions pas instituer des valeurs. Tout nous serait indifférent et ennuyeux. Nous n’aurions d’autre vie que celle du corps, d’autre soin que de le nourrir, d’autre appétit que de nous reproduire. Il faut donc reconnaître qu’avec la passion, ce qui surgit en plus de la vie du corps, c’est la vie de l’âme. J’emploie le mot âme non par souci de défendre le dualisme, mais pour rappeler que la passion est un fait psychique, un fait de la vie intérieure, une modalité de la réflexion, impliquant un rapport à l’autre – comme dans la jalousie, dans la haine, dans l’amour.
 
Mais souvenons-nous maintenant des vers que Racine fait déclamer à Phèdre lorsqu’elle raconte sa rencontre avec Hyppolite, dont elle va tomber éperdument amoureuse : « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue, un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ». Ce qui apparaît ici, ce qui est souligné par ces vers célèbres, c’est non seulement que la passion se manifeste dans des signes corporels, c’est aussi et avant tout qu’elle est vécue comme un trouble, comme une perturbation de l’âme, comme une perte de soi. Et c’est parce qu’elle est vécue de cette manière qu’on va pouvoir dire qu’elle est une faiblesse et pas seulement une force ou l’expression d’une puissance. Car en  tant que perturbation où l’âme « se perd », la passion va signifier une « division » du sujet. Sa passion, en effet, le sujet va en un sens la subir, il ne va pas la décider tout à fait souverainement. Elle va être en lui ce qui est plus fort que lui. Et c’est précisément ce que nous enseigne l’étymologie du mot passion. Vous le savez, ce mot vient du verbe latin « pati » qui signifie souffrir, et traduit le terme grec « pathos », maladie.
 
On arrive ainsi à ce qui fait débat dans le problème de la passion pour beaucoup de philosophes. D’un côté, il est évident qu’une âme sans passion est comme une « âme morte ». Godard fait dire à l’héroïne de « Pierrot le fou » : « Dans envie, il y a vie ». Et il est bien clair que cette formule pourrait s’appliquer à toutes les passions, bien qu’à des degrés divers. Mais d’un autre côté, la passion, c’est ce qu’on ne décide pas pleinement, de qui nous domine, ce qui nous met en conflit avec nous-mêmes. « Une passion libre ou volontaire, tout passionné le pressent n’en serait plus une », nous dit Comte-Sponville.  Et à partir de là, nous allons donc avoir, dans la philosophie, deux positions sur le problème éthique que pose la passion.
 
L’une va insister sur la valeur des passions, sur leur rôle éminent dans l’orientation de notre existence et dans la réalisation du sujet. Et par conséquent, pour elle, se réaliser, ce sera aller au bout de sa passion. Nous connaissons la célèbre formule de Hegel : « Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion ». Celle de Max Weber : « Pour l’homme en tant qu’homme, rien de ce qu’il pourrait faire sans passion n’a de valeur ». Et en effet, on voit mal, par exemple comment on pourrait se consacrer à l’art, à la science, à la philosophie, sans passion aucune. Le philosophe matérialiste Helvétius parle à cet égard « de la supériorité d’esprit des gens passionnés sur les gens sensés ». Il affirme que « l’on devient stupide dès qu’on cesse d’être passionné », justement parce que nous avons besoin des passions pour agir. La raison à elle seule ne peut nous motiver, nous mobiliser, nous faire aimer, nous faire désirer, même quand il s’agit de la recherche scientifique qui correspond pourtant peut-être à un besoin de notre nature rationnelle.
 
Mais en adoptant cette vision des choses, on conteste que la personne puisse se gouverner par la raison. On dit en effet que la raison est seulement un instrument des passions, qu’elle peut nous dire : « si vous voulez atteindre telle fin, vous devez choisir tel ou tel moyen », mais qu’elle ne peut pas nous donner une impulsion pour ou contre ces fins. C’est ce que dit Hume : « Rien n’est plus ordinaire en philosophie, et même dans la vie courante, que de parler du combat de la passion et de la raison, de donner la préférence à la raison et d’affirmer que les hommes ne sont vertueux que pour autant qu’ils se conforment à ce qu’elle leur ordonne… Pour manifester la fausseté de toute cette philosophie, je chercherai à prouver d’abord que la raison ne peut jamais être à elle seule un motif pour une action de la volonté. Puis en second lieu qu’elle ne peut jamais s’opposer à la passion pour diriger la volonté ». En termes clairs, pour Hume, ce n’est pas la raison, mais la passion elle-même qui peut triompher d’une passion contraire, ou la modérer. S’efforcer de régler ses passions pour se gouverner par la raison n’aurait donc guère de sens. Ainsi, dans le domaine politique, seule la crainte de la mort violente qui pourrait résulter de l’anarchie ou de la révolution, dit Hobbes, peut modérer notre passion pour la liberté sans limite et nous inciter à accepter le pouvoir de l’état que par ailleurs nous exécrons. Être raisonnable, ce serait donc seulement être en équilibre entre deux passions.
 
Maintenant, il y a une manière opposée de voir les choses, plus classique, dont je vais vous parler assez longuement, et qui insiste au contraire sur la dimension proprement passionnelle de la passion, sur son hétéronomie, sur le fait qu’elle s’impose à nous indépendamment de notre volonté, sur sa démesure et cette part de folie par quoi elle nous met en danger. Et bien sûr, selon cette manière de voir, il va être parfaitement légitime de considérer que la passion est contraire à la raison, qu’elle est une sorte d’esclavage dont il convient de se libérer.
 
Pour illustrer le premier aspect de cette hétéronomie, je citerais volontiers un texte très curieux de Descartes, dans lequel le philosophe avoue sa propension à tomber amoureux des femmes qui ont un strabisme convergent. « Lorsque j’étais enfant j’aimais une fille de mon âge, qui louchait un peu ; au moyen de quoi l’impression qui se faisait par la vue en mon cerveau, quand je regardais ses yeux égarés, se joignit tellement à celle qui s’y faisait aussi pour émouvoir en moi la passion de l’amour, que longtemps après, en voyant des  personnes qui louchaient, je me sentais plus enclin à les aimer qu’à en aimer d’autres, pour cela seul qu’elles avaient ce défaut ; et je ne savais pas néanmoins que ce fût pour cela ». Texte admirable à plus d’un titre. Les causes de nos passions nous échappent. Elles sont inconscientes. Elles viennent du passé, elles agissent à notre insu. Et c’est d’abord en cela que réside ce que j’appelle l’hétéronomie de la passion.
 
Mais par ailleurs, c’est là le deuxième aspect de l’hétéronomie, la passion est exclusive : là où elle est, elle aspire à prendre toute la place, et c’est en cela qu’elle va impliquer une espèce d’aveuglement, qu’elle va devenir aliénante et se rapprocher de la folie. Ici encore, je pense que le mieux que j’ai à faire est de citer un auteur qui a bien formulé ce dont il s’agit. Cet auteur, c’est Kant. Je le cite : « Il faut éviter, par complaisance pour une inclination unique, de rejeter toutes les autres dans l’ombre ou de les tenir à l’écart, mais veiller au contraire à ce qu’elles puissent coexister avec la somme de toutes les inclinations. L’ambition d’un homme peut certes toujours être une orientation, approuvée par la raison, de son inclination ; mais l’ambitieux veut néanmoins aussi être aimé des autres, il a besoin d’un commerce agréable avec autrui, de maintenir l’état de sa fortune, etc. Mais s’il est un passionnément ambitieux, il est aveugle à l’égard de ces fins que ses inclinations l’invitent pourtant aussi à prendre en compte, et la haine que les autres pourraient lui porter, la manière dont ses relations pourraient le fuir ou la façon dont ses dépenses pourraient l’exposer à la ruine, tout cela il le néglige. C’est là une folie (prendre ce qui n’est qu’une partie de ce qu’il vise pour la totalité de ses fins) qui contredit directement la raison dans son principe formel ». Selon la leçon de ce texte, il y a donc dans toute passion une sorte d’aveuglement destructeur de soi-même. Le passionné ne peut réaliser sa passion qu’en niant certaines de ses aspirations légitimes, qu’en entrant en conflit avec lui-même. Ainsi, la passion est doublement hétéronome, elle l’est par son origine puisqu’elle n’émane pas d’une décision de la volonté, mais d’un effet plus ou moins inconscient de notre histoire, voire même de notre enfance ;  elle l’est dans son déploiement même, puisqu’en portant à l’absolu un certain bien ou un certain objet, elle est contraire à la raison, et aboutit à une sorte de mutilation de soi.  
 
On a donc bien là un motif essentiel de s’efforcer de régler ses passions, de les soumettre à la raison. Mais pour compléter cette analyse, il y a quelques autres arguments, eux aussi tout à fait classiques, à prendre en considération.
 
Le premier de ces arguments, c’est que l’homme dominé par ses passions ou par ses affects, l’homme qui ne parvient pas à se gouverner lui-même, est un homme qui au fond ne peut pas non plus parvenir à un bonheur durable. Il ne peut pas être vraiment heureux à cause de ce que l’on appelle l’ambivalence constitutive des passions. Les passion se définissent comme une sorte de désir - un désir que rien ne peut satisfaire vraiment et totalement si l’on en croit Epicure parlant de l’amour– ou comme une sorte de « colère », ainsi dans la jalousie, la haine, le désir de vengeance, passions « tristes », passions avant tout réactives. Or on peut penser qu’en fin de compte toutes les passions réunissent en elles désir et colère. Comment serait-il possible par exemple d’aimer un être intensément, passionnellement, donc avec violence sans haïr en même temps tout ce qui serait de nature à nous en disputer la  possession. La passion est si l’on y réfléchit bien fluctuation affective, instabilité des états d’âme, mélange et ambivalence.
 
Le second, très classique lui aussi, à la fois éthique et politique, c’est que l’homme dominé par ses passions ne peut pas être vertueux. Nul ne peut en effet penser sérieusement que le fait de se laisse aller à ses passions soit compatible avec la possibilité d’être juste, tempérant, prudent. Prenons la vertu de justice. Alain a défini cette vertu de la manière suivante : « La justice est la puissance établie de la partie raisonnable sur la partie rapace, avide, cupide, voleuse, ce qui conduit à résoudre les problèmes du tien et du mien comme un arbitre ou par l’arbitre ». Si le désir domine, si la passion l’emporte, la justice s’incline. On ne peut être arbitre qu’en vertu du libre-arbitre. Supposons que l’arbitre d’un match soit dominé et emporté par sa passion pour une des équipes en compétition; il ne serait arbitre que de nom. On sait que le véritable arbitre doit avoir une seule passion, si je puis dire, celle de l’impartialité. Et il ne réalise cette impartialité que s’il est capable de surmonter sa préférence ou sa prédilection pour l’une des deux équipes en présence. Mon exemple fera peut-être sourire. Mais il fait signe vers une des conditions principales du vivre ensemble au sein de la cité, à savoir la modération des passions, sans laquelle la raison ne peut se faire entendre et la justice avoir une chance de s’instaurer. Est-il besoin de démontrer que des hommes livrés à leurs passions auraient du mal à s’accorder entre eux, à vivre dans la paix, à vivre dans l’harmonie. Les philosophes du moyen-âge avaient l’habitude de distinguer trois sortes de « libido » - la « libido sentiendi » pour le désir charnel, la « libido sciendi » pour le désir de connaître, la « libido dominandi » pour le désir de l’emporter sur les autres en gloire et en pouvoir. Imaginons un monde où ces passions régneraient sans partage : ce ne pourrait être qu’un monde de crimes, de conflits permanents et de guerres intestines. Il en irait de même si les passions identitaires, la haine de l’autre parce qu’il est l’Autre, venaient à l’emporter ? L’éducation du citoyen du monde, de l’homme accompli, passe par la modération plutôt que par l’exaltation des passions.
 
J’ajoute que la faculté de régler ses passions, de ne pas se laisser emporter par elles, de les dominer ou de les vaincre, surtout s’il s’agit de l’envie, de la haine, de l’horreur, a pour nom la « magnanimité », la grandeur d’âme, qui n’est rien d’autre que l’affirmation de la liberté du vouloir. Et rien n’est plus admirable, plus noble, plus éclatant, plus beau, que cette vertu. Pour éclairer mon propos, le mieux est de lire ce texte d’Alain. « L’âme c’est ce qui refuse le corps. Par exemple ce qui refuse de fuir quand le corps tremble, ce qui refuse de frapper quand le corps s’irrite, ce qui refuse de boire quand le corps a soif, ce qui refuse de prendre quand le corps désire, ce qui refuse d’abandonner quand le corps a horreur. Exemple : Alexandre à la traversée d’un désert reçoit un casque plein d’eau ; il remercie, et le verse par terre devant toute l’armée. Magnanimité, âme, c’est-à-dire grande âme. Ce beau mot ne désigne nullement un être, mais toujours une action ».  
 
Il y a donc en fin de compte deux positions en conflit sur la question que nous devons discuter. La première invite à assumer le risque de la passion, à aller au bout de nos amours ou de nos haines. C’est en un sens la position tragique, celle d’Antigone qui ne transige pas sur son amour pour son frère. C’est celle des « éloges de l’amour » (je note au passage qu’il n’y a pas à ma connaissance de livre qui fasse l’éloge de la haine). La seconde nous recommande de raisonner nos passions, elle définit un idéal de « sagesse » et en cela elle donne son vrai sens à la philosophie vécue, à la philosophie pratiquée comme un exercice quotidien. D’abord, en effet, la philosophie suppose le dialogue, elle implique le choix de la raison contre la violence. Dialoguer, c’est consentir à la mise en question de ce qu’on pense ou de ce qu’on croit par la pensée de l’autre, c’est se soumettre à l’exigence de l’argumentation et de la logique, c’est donc par principe faire l’effort de surmonter certaines passions, comme la vanité, comme le désir de l’emporter dans une joute verbale, comme l’intolérance, comme le fanatisme. Ensuite, la philosophie nous exerce à considérer ce qui nous arrive, ce qui nous irrite, ce qui nous plonge dans le tourment ou dans le chagrin comme une conséquence nécessaire de l’ordre des choses, à estimer à leur juste mesure les biens et les maux qui nous touchent, à « guérir » l’âme des vaines craintes ou des vains désirs. Il en était ainsi pour les stoïciens, il en était ainsi pour Epicure. Enfin, et je terminerai par cette idée, l’arme la plus puissante contre les troubles et les tourments des passions, c’est la joie que nous pouvons retirer de l’étude de l’univers, de la recherche de la vérité et de l’exercice de la pensée. C’est cette joie, nommée par Spinoza béatitude, qui peut nous donner une bonne part de la force d’âme dont nous avons déjà parlé. Merci.
 
Conclusion.
 
Il va de soi que lutter en permanence contre ses passions ne peut constituer à soi seul le principe d’une vie heureuse. Ce serait constamment se mutiler, constamment se réprimer, et se vouer au malheur. Mais s’abandonner à leur emprise ne vaut pas davantage. En effet, le passionné reste prisonnier du manque. La solution de l’antinomie, si vous acceptez ce terme, se trouve peut-être bien indiquée dans la formule qui conclut l’éthique de Spinoza : « La béatitude n’est pas la récompense de la vertu, mais la vertu elle-même ; et nous n’en éprouvons pas la joie parce que nous réprimons nos désirs, mais c’est au contraire parce que nous en éprouvons la joie que nous pouvons réprimer ces désirs ». Cherchons donc la joie d’abord.
 
Et écoutons pour finir les dernières lignes du traité des passions de l’âme : « Les hommes qu’elles peuvent le plus émouvoir sont capables de goûter le plus de douceur en cette vie. Il est vrai qu’ils y peuvent aussi trouver le plus d’amertume, lorsqu’ils ne savent pas bien les employer et que la fortune leur est contraire. Mais la sagesse est principalement utile en ce point, qu’elle enseigne à s’en rendre tellement maître, et à les ménager avec tant d’adresse, que les maux qu’elles causent sont supportables, et même qu’on tire de la joie de tous ».

 

                                                                                 

Claude Ménard

Jeudi 26 mai 2011

 

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